BORDERLINE - 
Collection "ceci est un essai" Granon édition - 2017- 55pages
Par son objet, sa démarche, ses sujets, mais aussi le parcours et les situations qui lui ont donné matière et forme, Borderline interroge la frontière.

C’est celle qui sépare la Flandre et la Wallonie que Charles Paulicevich s’est évertué à suivre et à traverser. A la fois linguistique, topologique et administrative, cette frontière cristallise nombre de passions politiques et sociales. Elle divise de bout en bout ce petit pays qu’est la Belgique alors même qu’il abrite en son cœur la capitale de l’Europe.

Pour donner forme à son projet, Charles Paulicevich a défini une méthode et il s’y est tenu implacablement. En délimitant un territoire formé par les quelques 80 communes immédiatement adjacentes à cette frontière, il s’est attaché à y suivre une série de rassemblements publics. Rencontrés au fil de son parcours, glânés sur les sites internet des communes concernées, ces « évènements » partagent, outre un territoire commun et un certain degré de publicité, d’autres traits remarquables. Tous assemblent des personnes passionnées par une même activité, les spectateurs et les participants tendent à s’y confondre. Tous se situent dans l’antichambre de l’entertainement, et font sensiblement appel à une certaine mythologie partagée qui attise la curiosité du regard. Surtout, tous donnent à voir des conditions sociales et économiques qui trouvent peu de place dans le monde de l’art et dans le monde médiatique, si ce n’est sous une forme volontiers misérabiliste et voyeuriste.

Pendant 3 ans, Charles Paulicevich se glisse dans l’assistance et les coulisses de ces « évènements » et bascule d’un monde à l’autre, traversant une multitude de bulles d’atmosphères qu’il se garde bien de vouloir faire éclater et au sein desquelles il s’immerge délicatement. Chaque image se lie à un récit, appelle un souvenir, distille une anecdote. Son travail ne lui apparaît pertinent qu’à partir du moment où lui-même prend part à la situation, que sa présence soit accueillie chaleureusement, ou qu’elle suscite l’embarras. Dès que s’échappe la mutuelle bienveillance entre lui et ceux qu’il regarde, il s’en va. Ses images ne cherchent à susciter ni le sarcasme, ni l’empathie, ni la complaisance, ni la désapprobation. A ce titre, sa démarche se distancie tout autant du genre documentaire que d’une esthétisation trop sûre d’elle.

Borderline présente une fresque de milieux, une farandole d’atmosphères, jusqu’à rendre imperceptible, voire à dissiper, cette fameuse frontière qu’il s’agissait d’interrroger. A tel point que l’on ne sait plus si cet ensemble d’images lui renvoie l’unité – le « sapiens », qui fascine tant cette photographie – ou une différenciation infinie et subtile de mondes. Tout en suivant et traversant cette ligne frontalière qui découpe autant qu’elle relie, l’auteur nous offre un regard singulier, poétique et presque intime de chacune de ces situations.

Louise Carlier, chercheuse en sociologie urbaine, Metrolab, Bruxelles.